Thomas Teffri-Chambelland : une autre idée du pain
Par Marie Cloupet - 8 avr. 2020 - Mis à jour le 2 déc. 2020
Société

Boulanger fondateur d'une Ecole Internationale de Boulangerie dans les Alpes-de-Haute-Provence et à la tête de Chambelland, boulangerie sans gluten qui approvisionne les tables les plus prestigieuses de la capitale, celui qui broie ses farines dans son propre moulin a accepté de partager avec nous son autre idée du pain.

ADG : Quelles transformations le pain a-t-il connu ces dernières années ?

Le tournant s’est opéré il y a deux cents ans. Historiquement, tous les pains étaient préparés en fermentation naturelle double (une fermentation qui met en jeu des levures et des bactéries) : ce qu’on appelle le pain au levain. Les pains qu’on trouve aujourd’hui dans le commerce sont le plus souvent préparés à la levure, avec une levure commerciale. Deux cents ans, ça semble peu, mais ça a quasiment fait oublier les quatorze mille ans d’histoire qui précèdent.

Une sélection des céréales a commencé à s’opérer au milieu du 19eme siècle. Puis dans les années 1950, les semanciers, en sélectionnant les variétés et en les diffusant à grande échelle, ont contribué à une érosion assez importante du patrimoine variétal. Ces mêmes entreprises, en devenant des multinationales, ont rendu l’érosion planétaire.

A la fin du XXème siècle, des interventions génétiques vont également modifier les variétés de manière extrêmement rapide. On peut parler très certainement parler d’un appauvrissement des patrimoines variétal et génétique.

ADG : Comment forme-t-on les boulangers en 2020 ?

L’apprentissage aujourd’hui se fait beaucoup sur des standards de boulangerie conventionnelle, avec des farines conventionnelles, non biologiques, parfois additivées, sur des fermentations à la levure. Raison pour laquelle j’ai créé l’Ecole Internationale de Boulangerie il y a treize ans maintenant, une école spécifique sur la fermentation naturelle et l’usage des farines biologiques.

On est loin d’enseigner ça aujourd’hui dans les CAP français alors qu’il me semble fondamental de préserver les variétés anciennes et de sensibiliser les futurs professionnels à ces enjeux.

Ces deux critères qui entrent en compte dans la préparation du pain, qualité du gluten et qualité panifiable du gluten, sont-ils les meilleurs et doivent-ils être les seuls à prévaloir ?

ADG : Pourquoi et comment faire du pain autrement ?

On se pose aujourd’hui beaucoup de questions sur un nombre croissant d’intolérances au gluten. Les variétés anciennes sont peut-être une des clefs pour répondre à ce problème.

Les pains au levain ont un bouquet floral, aromatique, incomparable aux pains à la levure. Leur conservation est aussi bien meilleure que les pains à la levure : une semaine ou plus facilement pour un pain au levain. Il a aussi un fort intérêt diététique, l'acidité permettant une meilleure assimilation des minéraux.

Autre point : l’abaissement des indices glycémiques des pains au levain. La fermentation longue dégrade le gluten et rend le pain plus digeste. Et on connaît l’impact relativement négatif des glucides dans l’alimentation quand ils sont consommés en excès... c’est à dire à peu près tout le temps. D’où l’intérêt de travailler avec des variétés de blé dites anciennes, qui ont été abandonnées, et au levain. Il y a là quelque chose à redécouvrir tant du point de vue du goût, du métier, du santé que de l’histoire.

Thmas Teffri-Chambelland est également auteur du Traité de boulangerie au levain, paru le 17 octobre 2019 chez Ducasse Edition.

Découvrez les détails de sa recette de pain au cacao et chocolat.

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