Rencontre avec Bruno Higos, master en caviar chez Kaviari
Par Catherine Lasserre - 22 déc. 2015 - Mis à jour le 21 nov. 2018
PortraitNoël en fête

Comme le vin et le fromage, le caviar a besoin de temps pour se bonifier. Un affinage obligatoire avant que ces œufs d’esturgeon aux reflets nacrés ne se retrouvent à la carte de restaurants étoilés. Mais qui se cache derrière cette étape aussi indispensable que méconnue ?

Crédits : DR - KaviariBruno Higos, l'homme qui murmurait à l'oreille... du caviar

« J'ai les yeux qui brillent à chaque ouverture de boîte », lance, sourire aux lèvres, Bruno Higos en évoquant son métier. C'est dans le laboratoire jouxtant la société Kaviari situé en plein cœur de Paris, non loin de l'Opéra Bastille, que l'homme nous reçoit. Un espace de 1000 m² sur deux niveaux où pas moins de douze personnes s'affairent au conditionnement et à l'expédition des différents produits de la marque. Parmi eux, le caviar, ce produit qui ne devient luxe qu'après être passé entre les mains expertes de Bruno Higos, master en caviar depuis près de 30 ans chez Kaviari, cette entreprise artisanale et familiale qui importe, sélectionne et affine ce produit noble depuis 40 ans.

Mais revenons un instant sur le contenu de ces énormes boîtes bleues : avant de devenir ce précieux caviar, les œufs d'esturgeons qui sont extraits de la rogue sont naturellement fades. Ils sont ensuite salés puis passés au tamis avant d'être conditionnés en boîte. Notez qu'une boîte de caviar contient les œufs d'un même esturgeon. Commence alors le travail de Bruno qui, après réception des boîtes de caviar, les stocke dans une immense chambre froide durant 3 à 6 mois. Au cours de cette période d'affinage, ce dernier retourne ces boîtes 2 à 3 fois afin de garantir une bonne répartition du sel qui agit comme conservateur et exhausteur de goût. Une première phase de contrôle qui débouche sur l'étape suivante : la dégustation pour juger de la qualité du caviar.

« Le caviar est un produit qui rend heureux »

Crédits : DR - KaviariLe caviar, ce produit noble dont Kaviari est le spécialiste depuis près de 40 ans

Dès son arrivée à 6 h du matin, Bruno Higos ne déroge pas à son rituel de commencer la journée par la dégustation de caviar... à jeun, car « c'est le meilleur moment pour le déguster ! ». D'autant que « chaque boîte à un poisson différent, et chaque caviar a un goût différent », souligne celui qui, en un clin d’œil, sait s’il à affaire ou non à du bon caviar. « C'est un plaisir d'ouvrir une boîte, et savoir ce que je vais en faire, ça me suffit ! ». Une humilité qui s'explique sans doute par son parcours brillant de singularité.

Arrivé en tant que chauffeur-livreur vers l'âge de 20 ans chez Kaviar Astara (l'ancien nom de Kaviari) alors fondé par Jacques Nebot, l'un des papes du caviar en France, Bruno Higos se retrouve 3 mois après sous la houlette de Monsieur Lucien, master en caviar et surtout son mentor pendant 20 ans. Un personnage « peu loquace et de la vielle école » qui lui a appris « le respect du produit, les gestes nobles et surtout le respect du client ». Un concours de circonstance qui s'est finalement transformé en passion même si « ça n'a pas été facile au début ! », concède Bruno. « On s'habitue, on aime, on adore, et on comprend l'intérêt. C'est de la magie !».

Magique comme sa visite, au début de sa carrière, à la Shilat (organisme d’Etat iranien qui contrôle l’ensemble de la chaîne de production et de distribution du caviar) où il a rencontré, une semaine durant, les masters en caviar iraniens (et surtout les derniers esturgeons sauvages !). « Ils étaient fiers de leur travail, de leur produit », se souvient-il. Et c'est d'ailleurs avec eux que Bruno a appris les premiers gestes du métier, et cette habitude de déguster le caviar avec du thé !

Le caviar, un mets sous le signe des étoiles

Crédits : DR - KaviariLa brillance, l'une des qualités d'un bon caviar

Les qualités d'un bon caviar ? Le temps accordé à échanger avec les éleveurs, la manière de nourrir les esturgeons et le fait de se rendre sur le lieu des exploitations, rappelle Bruno Higos. Mais une fois face au caviar, d'autres paramètres sont pris en compte : il doit être brillant (plus il est terne, plus il est vieux), avoir une texture souple – un signe de fraîcheur – et ses grains plus ou moins fermes doivent rouler sur la langue. Quant au goût, ce dernier change en fonction des espèces comme l'a prouvé notre dégustation de caviar orchestré par Bruno, avenant et toujours heureux de partager sa passion.

Et pour le déguster de manière optimale, mieux vaut le sortir du frigo au moins 20 minutes à l'avance car « le froid dénature le goût », et interdiction de le goûter avec une cuillère en argent ! Côté boisson, un thé noir Darjeeling, un champagne brut ou encore un vin blanc sec type Chardonnay ou Sauvignon font de merveilleux accords.

Mais comment le déguster au juste ? Bruno Higos estime que le transmontanus, ce caviar aux notes beurrées, est parfait pour les novices qui le dégusteront sur des mouillettes pour accompagner des œufs à la coque par exemple. Le schrencki, qui se distingue par sa belle longueur en bouche et sa malléabilité, est idéal pour sublimer les plats signature des grands restaurants. C'est d'ailleurs l'un des caviars préférés des chefs. Car en plus de son travail d'affineur, Bruno Higos oriente avec brio les chefs étoilés sur le choix du caviar qui sublimera leurs recettes. « Dès l'ouverture de la boîte, je sais à quel chef ce caviar correspondra ». Une forme d'anticipation qui démontre la grande confiance que lui accorde ces chefs qu'il côtoie parfois depuis plus de 25 ans, à l'instar d'Alain Ducasse et Joël Robuchon. « C'est une fierté d'avoir une personne de confiance depuis plus de 30 ans, c'est une vraie richesse », confiera même une proche collaboratrice de Bruno Higos, ce master en caviar qui nous rappelle que, décidément, la modestie est la plus luxueuse des qualités.

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