Gastronomie : où sont les femmes ?
Par Victoria Houssay - 25 nov. 2014 - Mis à jour le 8 mars 2018
Société

En 2018, sur 621 restaurants étoilés au Guide Michelin, seuls 17 sont tenus par des femmes. Un chiffre symptomatique de la situation des femmes chefs dans la haute gastronomie : rares sont celles qui arrivent au sommet.

Crédits : Restaurant Yamtcha - DR Pierre MonettaRestaurant Yamtcha - DR Pierre Monetta

Dans les foyers, la cuisine est bien souvent une affaire de femmes. Mais dans les cuisines professionnelles, la tendance s’inverse : seul un cuisinier sur quatre est une femme. Un chiffre qui se réduit à peau de chagrin lorsqu’il s’agit de chefs triplement étoilés au guide Michelin : sur 26 restaurants ayant reçu cette prestigieuse distinction en France en 2014, Anne-Sophie Pic est la seule femme dans le classement. Première et seule femme chef trois étoiles depuis 1933 avec la Mère Brazier ou la Mère Bourgeois, elle ne veut pas être le porte-étendard des femmes chefs. Dans une interview accordée au Point en 2012, elle tranchait : « Avant d'être une femme, je suis d'abord chef ». « Si j'ai pu prouver à certaines que tout est toujours possible, alors tant mieux. Ce n'était pas mon but », prévenait-elle aussi.

Un métier dur ? « Autant pour un homme que pour une femme »

Mais quelles explications trouver à ce manque de parité en cuisine ? C’est un métier dur, forcément. Horaires contraignants et travail sous pression : des nerfs solides sont exigés… Des bras solides, aussi : « Une casserole hyper-lourde remplie d’eau, personne ne la portera pour toi par galanterie », observe Laëtitia Rouabah, chef du bistro Allard. Pour preuve, la main de Tatiana Levha, chef au Servan, photographiée dans le Guide du Fooding 2015 : des ecchymoses, un tendon coupé et autres brûlures. Dans une cuisine professionnelle, la taille des couteaux ne serait pas nécessairement adaptée à une main XXS ? Pour Virginie Basselot, chef au Saint-James (deux étoiles), l’argument n’est pas recevable : « c’est aussi dur pour un homme que pour une femme, les risques sont les mêmes ». D’autant plus qu’aujourd’hui, les ustensiles utilisés sont moins dangereux : « on utilise de l’inox, bien plus léger que le cuivre, il n’y a plus de fourneaux au charbon mais des fours vapeur… ».

Crédits : Pierre MonettaAnne-Sophie Pic
Crédits : Pierre MonettaClaire Heitlzer
Crédits : DRHelène Darroze
Crédits : Pierre MonettaLaetita Rouabah

Dans un milieu hyper-masculin, une parole sexiste qui n’a pas lieu d’être peut aussi se libérer, comme en atteste le témoignage d’Elodie, harcelée sexuellement alors qu’elle officiait dans une adresse bistronomique en vue de la capitale. Publié également dans le Fooding, qui s’est penché sur la question avec Franck Pinay-Rabaroust d’Atabula.fr, elle y raconte les remarques déplacées sur son physique, et les bâtons mis dans les roues dès qu’elle s’est plainte. Si Adeline Grattard, chef au Yam'Tcha, concède avoir essuyé quelques commentaires désobligeants, elle n’a pas – contrairement à Elodie – été dégoûtée de la cuisine avant même de commencer réellement : « J’ai eu la chance de commencer avec une femme, qui m’a mis le pied à l’étrier. Ça a été plus facile pour moi en tant qu’apprentie », expliquait-t-elle lors de la conférence Cook It Cool donnée à Science Po en novembre. Un environnement qu’elle privilégie désormais : « J’aime bien avoir des femmes dans ma cuisine et je pense être plus douce avec elles ».

« Impossible de goûter un plat et déterminer s’il a été fait par une femme ou par un homme »

Se faire une place au soleil dans une brigade (tiens : un terme venu du monde militaire, réputé pour son machisme) relève donc presque du chemin de croix. Et pour les rares qui réussissent, difficile d’être jugée de la même manière qu’un homme. Systématiquement, on parlera d’une cuisine « douce », « féminine ». La cuisine d’un homme peut, pourtant, être aussi « légère », « poétique » ou « aérienne », et au-delà de ces adjectifs qualificatifs parfois flous, on ne dit jamais qu’un chef fait une cuisine « masculine ». De quoi faire se retourner dans sa tombe Eugénie Brazier, qui n’a pas eu ses trois étoiles avec de délicates espumas ou d’aériennes pâtisseries mais avec des fonds d’artichauts au foie gras. « Il n’y a pas de cuisine masculine et féminine », acquiesce Virginie Basselot, « personne ne peut goûter un plat et déterminer s’il a été fait par une femme ou par un homme ». Et la chef de citer Philippe Etchebest, « dont la personnalité parfois abrupte contraste avec sa cuisine délicate ».

Pas question pour autant de dresser un portrait noir de la situation des femmes chefs en France. Si elles restent minoritaires en cuisine, les adresses avec une femme à leur tête ont le vent en poupe : Le Camion Qui Fume, CheZaline, Nanashi. Adeline Grattard a décroché une étoile avec son restaurant gastronomique Yam’Tcha (fermé depuis peu en vue d’une réouverture prochaine), tout comme Stéphanie Le Quellec, passée par Top Chef et désormais chef au Prince de Galles. Des initiatives s’attachent à les mettre en avant, comme Le Clan Des Madone, une opération organisée par le Fooding en 2013. La même année, le Time récompensait 13 « dieux de la cuisine », parmi lesquels 4 femmes. Et à la télé française (mais également dans leurs bonnes adresses), Hélène Darroze et Ghislaine Arabian représente les femmes chefs françaises de talent. Demain, la parité en cuisine ?

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