La grenouille des Dombes : un emblème voué à disparaître ?
Par Victoria Houssay - 10 oct. 2014 - Mis à jour le 2 mars 2021
Société

La grenouille des Dombes est une spécialité emblématique de la région, et même de la France. Pourtant, dans le pays, on ne « cueille » plus les petits batraciens : la raniculture en Dombes est quasi-nulle ! Comment les grenouilles arrivent-t-elles jusque dans l’Ain ? Comment les restaurateurs parviennent-ils à afficher des grenouilles fraîches à la carte ?

La cuisine française dans l’imaginaire collectif ? Vin, camembert, baguette : la sainte trilogie, suivie de près par des mets plus surprenants comme les grenouilles et les escargots. Pour les trois premiers, l’Hexagone peut se targuer d’avoir des producteurs de talent, des terroirs riches et une tradition perpétuée. Quid des escargots et des grenouilles ? Shocking ! Ces deux emblèmes de la gastronomie tricolore ne sont quasiment plus produits en France.

Chasse interdite et quotas

Prenons le cas de la grenouille. Et allons interroger - sous couvert d'anonymat - le chef d’une grande brasserie parisienne, à Saint-Germain des Prés. Ses produits ? Que le meilleur du meilleur de fournisseurs triés sur le volet. Des Labels Rouges en pagaille, des A.O.P en veux-tu en voilà. Ses cuisses de grenouille ? Elles ne viennent pas de France, à son grand regret. On devine le sujet sensible, mais que faire ? La chasse commerciale des grenouilles est interdite depuis 1980. Comme d’autres espèces protégées, la grenouille peut être « cueillie » pour une consommation personnelle, et avec quotas pour certaines espèces. Régulièrement, des cas de braconnage sont relayés par la presse, comme au début de l’année dans le Cantal. Il faut dire que les grenouilles vertes se font plus rares depuis quelques décennies : elles sont victimes de la consommation humaine, mais aussi et surtout de l’utilisation de pesticides, de l’assèchement de mares et d’étangs pour l’agriculture, de la raréfaction de certains insectes qu’elles consommaient…

Grenouilles d’Asie et d’Extrême-Orient

Pourtant, nul besoin d’enfreindre la loi pour avoir des grenouilles françaises. Patrice François, éleveur (on dit "raniculteur") en région Rhône-Alpes, fournit quelques restaurants de la région des Dombes. Il a commencé son activité en 2010 « par goût du défi et envie de faire quelque chose d'original », nous explique-t-il. Si c’est l’un des seuls éleveurs français et que sa production n’est destinée qu’à quelques poissonneries ou restaurateurs choisis avec soin, il envisage de lancer un deuxième élevage au printemps prochain et de vendre, d'ici peu, aux particuliers. Christophe Marguin, restaurateur réputé en Dombes et au-delà, a été impressionné par la qualité de ses grenouilles, qui ont « le goût de celles que l'on cueillait autrefois ».

Ce qui change de certaines grenouilles moins fines. C’est ainsi qu’à la Foire aux grenouilles de Vittel, manifestation annuelle où l'on grignote le batracien sous toutes ses formes, on écoule sept tonnes de grenouilles… surgelées, importées d’Asie ou d’Extrême-Orient. Au total, en France, on compte 700 tonnes de grenouilles importées fraîches et 4000 importées surgelées.

Crédits : Stock Adobe

Des grenouilles tricolores : un luxe qui vaut son prix

Patrice François vend ses grenouilles frenchies entre une vingtaine et une trentaine d'euros le kilo, selon la cible (les restaurateurs bénéficiant naturellement de tarifs plus avantageux). Bien plus que des grenouilles surgelées issues de Turquie, d’Egypte ou d’Albanie, plus largement répandues en France et dont le prix varie de autour d'une dizaine d'euros le kilo. Si l’élevage est difficile, c’est que la grenouille sauvage est accoutumée à manger des insectes. Pour l’élevage, il faut la convaincre de consommer des aliments inertes… Et investir, que ce soit dans les spécimens reproducteurs ou les infrastructures : au final, Patrice François a déboursé 250 000 euros pour pouvoir mener à bien son projet. Si demain d’autres éleveurs l’imitent (pas impossible, puisque son aventure a enthousiasmé la presse, de TF1 au New York Times), peut-être pourra-t-on protéger les grenouilles sauvages et consommer local ? L’idée a de quoi séduire.

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